L’estime de soi est un concept complexe et abstrait dont on retrouve plusieurs définitions mais, aucune n’a fait l’objet d’un consensus à ce jour. Par contre, on s’entend généralement pour dire que l’estime de soi est liée à la stabilité émotive, à la motivation, à la satisfaction personnelle et au bonheur.
Dans le cadre du présent article, nous allons revoir différentes définitions de l’estime de soi et nous tenterons de mettre en lumière certains aspects liés à sa conception, aspects qui peuvent entraver le développement du bien-être et du bonheur de nos patients/clients.
C’est sous l’angle de la REBT d’Albert Ellis[1] ou, comme on la nomme au Québec, selon la démarche Émotivo-rationnelle (DER), que nous aborderons l’estime de soi, les différentes notions qui y sont couramment associées et aussi les risques et conséquences liés à la croyance de l’existence de la valeur humaine et du mérite.
Généralement, lorsqu’on aborde l'estime de soi, on parle de la manière dont une personne perçoit sa propre valeur et son propre mérite. On avance fréquemment, que l’estime de soi peut aider à renforcer la confiance en soi et à prendre des décisions positives, tandis qu'une faible estime de soi peut entraîner une perte de confiance en soi et des difficultés à naviguer dans les situations sociales.
On avance aussi que l'estime de soi n'est pas nécessairement statique, qu’elle peut varier parce qu’influencée par des événements et des expériences tout au long de la vie. On propose aussi qu’il est possible de travailler sur sa propre estime de soi en reconnaissant ses propres forces et faiblesses, en apprenant à se respecter et à s'aimer soi-même, et en se concentrant sur des objectifs positifs et réalisables.
Ces manières de concevoir l’estime de soi sont assez répandues et prennent couramment racine dans la littérature scientifique où on en retrouve d’ailleurs de nombreuses définitions.
Elle fut définie et analysée entre autres par James en 1892[2] qui explique que le « self-estim » est au cœur de la personne et qu’il consiste dans le rapport entre les réussites et les aspirations ainsi qu'entre les résultats et les échecs de la personne.
Maslow, 1943[3] quant à lui, a intégré l'estime de soi dans sa pyramide et l’identifie comme un besoin fondamental pour combler le besoin ultime de réalisation de soi et pour y arriver l’individu doit se sentir compétent et être reconnu par autrui.
Selon Laporte, 1997[4], l'estime de soi fait référence à la valeur que l'on s'attribue soi-même dans les multiples sphères de notre vie et à notre sentiment de dignité : digne d'être aimé, de réussir, de grandir...etc.
Cette définition rejoint celle de Paradis et Vitaro, 1992[5], quand ils avancent que l'estime de soi est un regard général sur soi-même qui correspond à un jugement de sa valeur en tant qu'individu et aussi celle de Rosenberg[6], 1965, qui définit l’estime de soi comme étant le résultat d’une évaluation positive ou négative envers soi-même; une évaluation globale de sa valeur en tant que personne.
Martinot, 1995[7] quant à lui, propose une tout autre définition de l'estime de soi. Il la définit comme un ensemble d’éléments, composé des attitudes, des croyances et des sentiments que les individus ont d'eux-mêmes.
Des définitions précédentes, on peut retenir que les principaux aspects de l’estime de soi font référence à :
· La perception de soi ;
· La perception ou le jugement de sa propre valeur humaine ;
· La perception de son propre mérite ou sentiment de dignité ;
· La perception des forces et faiblesses de l’être humain qui influence la valeur personnelle ;
· Cette perception peut être influencée par l’extérieur (social) ou par des éléments à l’intérieur de soi (croyances, sentiments, valeurs personnelles…).
Selon Ellis 2005[8], l’estime de soi tient au fait que les êtres humains s'autoévaluent et il soutient que cette tendance est « névrotique ». Il estime d’ailleurs que la notion de « valeur humaine » n'est pas réaliste. Il conseille donc de ne pas s’auto-évaluer globalement, mais de s’en tenir à l’évaluation des comportements. Il soutient aussi qu’il est préférable de remplacer l’estime de soi par l'acceptation inconditionnelle de soi (Unconditional Self-Acceptance).
Cette définition est celle que j’ai moi-même adoptée et décrite dans un de mes livres (Borgia, 2012[9]). L’estime de soi étant une attitude liée à l’évaluation de sa valeur personnelle à partir de certaines caractéristiques, ce qui revient à dire que si on est habile en dessin, on dira qu’on est bon et dans le cas contraire, qu’on est mauvais. Dans les deux cas, on associe une valeur positive ou négative à sa personne en y accolant le bon ou le mauvais.
Sans même s’en rendre compte, en se croyant bon ou mauvais, on fait une généralisation indue sur sa personne, croyance qui peut causer des émotions de supériorité ou d’infériorité. Certains vont encore plus loin dans l’évaluation de leur estime personnelle en se croyant valable du fait qu’ils possèdent des biens ou encore qu’ils ont richesse, pouvoir, connaissances, etc. Ils se croient alors doté d’une valeur plus grande que celle des autres personnes, donc plus importants ou supérieurs aux autres humains qu’ils méprisent trop souvent. Le mépris étant la dévalorisation ou la mésestime de l’autre et dans la positive, on retrouve l’admiration de l’autre, de sa personne.
Tout va bien tant et aussi longtemps qu’on se tient dans la catégorie des bons, des capables et des extraordinaires, car cela engendre de la valorisation et de l’estime positive de soi qui génèrent des émotions agréables telles que la fierté, la confiance, l’enthousiasme, etc.
Mais qu’advient-il lorsqu’on s’estime négativement, qu’on évalue sa valeur personnelle comme mauvaise, nulle ou inférieure à celle des autres individus ou qu’on considère qu’elle a diminuée ? On risque alors de basculer dans des émotions négatives comme la dévalorisation, l’infériorité, le mépris de soi, etc.
En ce sens, l’attitude mentale qui consiste à s’estimer globalement en tant que personne en regard des actions et des possessions est malsaine pour qui désire vivre en paix avec lui-même et trouver le bonheur. Pour enrayer cette attitude mentale néfaste et contrer les problèmes émotifs qu’elle peut engendrer, on doit inéluctablement cesser de s’évaluer globalement en tant que personne, de s’estimer et de s’attribuer une valeur personnelle.
Mais pour y arriver, il est essentiel de remettre en question la conception fort répandue de l’estime de soi, de ses composantes et son bien-fondé. Nous le ferons sous l’angle du réalisme dégagé grâce au questionnement socratique, technique liée étroitement à la REBT, nommée aussi la DER.
Alors arrêtons-nous pour examiner la terminologie de certains termes utilisés lorsqu’on parle généralement de l’estime de soi.
L’estime de soi : une évaluation de sa valeur personnelle
Avant d’aborder l’estime de soi, regardons d’abord ce que le soi désigne dans la réalité. Il semble évident que le soi ne peut pas faire référence simplement à une ou plusieurs caractéristiques humaines, ou encore qu’à une petite partie de notre personne. Le soi inclus donc l’être total, comprenant toutes les caractéristiques d’un individu, c’est-à-dire l’entièreté des manières d’être, d’agir, de penser, de ressentir les émotions, etc., aspects qui font partis de la personnalité et du soi.
Alors, si on dit : «je suis», je parle donc de ma personne dans sa totalité, dans sa globalité, dans son entièreté. Le soi est donc synonyme de l’être humain que l’on est complètement. De ce fait, pour être réaliste, l’estime de soi devrait être basée sur la totalité de qui on est, et non seulement sur quelques caractéristiques.
Puisque l’estime de soi consiste en une évaluation, un jugement mental par lequel on tente de se donner une valeur uniquement à partir de certains critères ou que caractéristiques l’on trouve valables, cette attitude n’est pas réaliste.
Par exemple, si je désire vendre ma maison, je pourrais demander à un ou plusieurs évaluateurs de faire une estime, une évaluation de ma maison pour connaître sa valeur. Il est fort à parier qu’aucun n’arriverait à une estime identique, car chacun irait de sa propre opinion sur les caractéristiques de la maison selon les critères qui lui apparaissent comme importants.
On peut donc dire sans hésiter que si la maison possédait une estime intrinsèque, celle-ci serait un fait démontrable, tout comme la grandeur de la maison, le nombre de pièces, de fenêtres, de portes, etc.
Puisque que ce n’est pas le cas, nous pouvons donc avancer, hors de tout doute, que, tout comme la beauté, l’estime est donc une opinion et non un fait réel.
La valeur humaine
Examinons maintenant la valeur humaine et demandons-nous si cette valeur est un fait réel ou une simple opinion.
Supposons que la valeur humaine soit un fait réel. Cette caractéristique ne pourrait qu’être attribuée à tous à la naissance et ce, sans distinction aucune. Donc, cette valeur humaine serait la même pour tous. Et, en tant que fait, elle ne pourrait varier d’aucune façon.
Il n’y aurait alors aucun risque de la voir augmenter ou diminuer quoi que l’on fasse ou que l’on possède. Tout comme le fait qu’un être humain ne peut pas être plus humain ou moins humain qu’un autre, il ne peut être plus valable ou moins valable qu’un autre dans la réalité.
Et pourtant, si vous êtes naufragé et passager dans une chaloupe de sauvetage, vous serez certainement tentez d’accorder plus de valeur au type aux gros bras et bien en forme, plutôt qu’à la personne âgée à mobilité réduite.
De part ces exemples, il semble plutôt évident que la valeur humaine est, de par sa nature, une opinion portée sur certaines actions et caractéristiques selon l’appréciation ou non de certains éléments et non de l’être humain dans sa totalité.
Alors, croire que la présence d’une caractéristique positive ou d’une action positive ajoute à ma valeur en tant qu’humain est une croyance fausse, tout comme croire que me valeur personnelle est moindre ou nulle en raison d’une caractéristique ou action négative.
Bien que l’on puisse sans problème émotif important évaluer nos performances, capacités, talents, possessions ou actions comme étant valables ou non, utiles ou non, appropriées ou non, dans la réalité ces caractéristiques ou actions ne peuvent aucunement faire augmenter ou diminuer la valeur humaine, puisqu’elle n’existe pas.
On peut en conséquence dire sans erreur : «je ne vaux rien, les autres ne valent rien, car personne ne possède de valeur en lui-même. Pas de valeur, donc pas d’estime de soi, ni mérite, sauf en termes de croyances fausses.
Donc, cesser de croire que l’on possède une valeur personnelle un très bon moyen de trouver la paix de l’esprit et de développer de la confiance personnelle basée sur des éléments plus réalistes que celui de l’estime de soi.
Le mérite
Le mérite est souvent associé à l’estime positive de soi. Mais, qu’est-ce au juste que le mérite ? La définition du mérite généralement acceptée est la suivante : Le mérite est un concept qui fait référence à la valeur ou à la qualité d'une personne. Cela revient à dire que la personne est plus valable qu’une autre.
Il s'agit d'une évaluation de la valeur ou de la qualité d'une personne, en fonction de ses actions, de ses réalisations, de ses capacités ou de ses caractéristiques. Le mérite consiste donc aussi en une opinion sur la personne.
Tout comme pour la valeur humaine, la notion de mérite est subjective et influencée par des facteurs tels que les préférences personnelles. Dans les faits, personne n’a de mérite, pas plus que de valeur.
Évidemment on peut accorder du mérite ou être fier d’un travail, d’une réussite, d’une œuvre, etc. On peut même accoler à ces choses des étiquettes comme bonne ou exceptionnelle, mais en aucun cas cela rendra pour autant la personne méritoire.
Tout comme nous l’avons vu précédemment, il faut distinguer la personne de ses caractéristiques, ses talents, ses dons et ses actions. Donc, il est réaliste de dire que nul n’a de mérite en lui-même. Nous sommes tous des êtres humains, faillibles et imparfaits, sans valeur personnelle, ni mérite.
L’infériorité
L’infériorité et la dévalorisation sont des émotions semblables. Comme nous l’avons vu précédemment, la dévalorisation est liée à la valeur qu’on s’accorde alors que l’infériorité est liée à la présence du verbe être, associé à une étiquette négative.
Par exemple, si un individu croit qu’il est stupide, cela lui causera de l’infériorité tout comme s’il croit qu’il n’est pas assez intelligent. Tout comme s’il se croit être bon, meilleur, excellent, extraordinaire, il se causera une émotion de supériorité.
Dans les deux cas, l’utilisation du verbe être est irréaliste parce que personne ne peut être totalement et entièrement stupide ou bon tout le temps. Il serait plus juste et approprié de dire que l’individu a fait une stupidité ou que son degré d’intelligence est moindre que celui de son voisin, mais cela ne fait pas de lui un être stupide et inintelligent, pas plus qu’il n’est bon s’il a fait une bonne action.
L’utilisation du verbe être est habituellement inconscient. Il fait partie de nos communications au quotidien. Qui n’a pas dit ou entendu dire : Je suis triste, je suis anxieux, je suis fatigué, etc. Pour être dans la réalité, on devrait dire je ressens de la tristesse ou de l’anxiété ou encore je ressens de la fatigue. Je ne suis donc pas tristesse, anxiété et fatigue.
Lorsque je travaille ces concepts et émotions avec mes clients, souvent je les invite à faire un tableau de quatre colonnes et y apposer les titres suivants : ÊTRE – FAIRE – AVOIR- AVA (Autres Verbes d’Action). Je les invite ensuite à faire le tri dans leurs manières de penser avec l’utilisation du verbe être, en leur rappelant que sous le verbe ÊTRE les énoncés doivent répondre aux critères suivants : cela doit être vrai globalement, entièrement et invariablement, et non occasionnellement ou partiellement.
D’ailleurs, il y a peu de mots qui puissent être accordés de manière réaliste avec le verbe être, si ce n’est que nous sommes des êtres humains faillibles et imparfaits, sans aucune valeur personnelle, ni mérite. Nous sommes ce que nous sommes, avec nos qualités et nos défauts, un point c’est tout. Donc, tous les autres énoncés doivent donc être placés dans les autres colonnes.
On peut ainsi retenir que les bons, comme les mauvais humains, n’existent pas. Vaut mieux développer une utilisation plus judicieuse du verbe être. Ce faisant, l’individu peut prendre une distance émotive par rapport à ce qu’il est, et éviter ainsi de se causer inutilement de l’infériorité et autres émotions négatives associées.
En résumé
En y regardant de plus près avec réalisme, on a été en mesure de constater que l’estime de soi est un véritable piège qui consiste en une erreur d’interprétation, une opinion au sujet de l’évaluation de la valeur personnelle qui conduit trop souvent les individus à se causer des émotions négatives, entraves au bien-être et au bonheur.
C’est pourquoi j’ai qualifié l’estime de soi de «Titanic» parce que tout comme ce paquebot, soi-disant à toute épreuve, l’estime de soi risque d’en faire sombrer plus d’un dans un « océan » d’émotions négatives et désagréables.
Si, en tant que psychothérapeute tenant de la REBT/DER, on désire vraiment contribuer au développement de la stabilité émotive et au bonheur de nos patients/clients, il est essentiel de les aider à développer une image plus réaliste d’eux-mêmes. Il est possible de le faire en les aidant à se libérer de la croyance fausse liée à l’existence de la valeur humaine et du mérite et en les amenant à comprendre qu’il est dommageable de s’estimer ou de se valoriser.
On se doit aussi de les aider à se libérer de la tendance malsaine de s’attribuer personnellement des étiquettes et du mérite, tendances nocives qui entravent le développement du bien-être émotionnel et du bonheur.
Alors, amenons-les plutôt à développer l’acceptation inconditionnelle d’eux-mêmes et de leur nature humaine, de leurs capacités, de leurs limites, de leurs caractéristiques propres.
Au contraire de l’amour qui est conditionnel, l’acceptation inconditionnelle est possible. Accepter ne signifie pas aimer, apprécier ou approuver. L’acceptation est liée au fait de reconnaître ce qui est, sans y associer une opinion, un qualificatif ou une évaluation. On peut donc accepter sans aimer.
À la suite de l’acceptation, l’individu sera certainement plus en mesure de changer ce qu’il peut et désire changer, avec bienveillance et respect de sa nature propre et ce faisant, d’être plus heureux.
S’il y a une seule pensée réaliste à garder bien en tête pour maintenir une bonne stabilité émotive, sa motivation et sa satisfaction c’est la suivante : Nous sommes tous des êtres humains, faillibles et imparfaits, sans valeur, ni mérite. Donc, cessons de nous comparer aux autres et acceptons nos différences.
Diane Borgia, B.Sc., e.r.
Criminologue-psychothérapeute
Présidente et formatrice
[1] ELLIS, A. (2005) The Myth of Self-esteem: How Rational Emotive Behavior Therapy Can Change Your Life Forever
[2] JAMES W. (1892), Psychology : Briefer Course. Havard University Press, Cambridge
[3] MASLOW A. (1943) A theory of human motivation, Psychological Review, vol 50, 370-96
[4] LAPORTE D. (1997) Pour favoriser l'estime de soi des tout-petits, Montréal, Éditions de l'Hôpital Sainte Justine
[5] PARADIS R. & VITARO F. (1992) Définition et mesure du concept de soi chez les enfants en difficulté d'adaptation sociale : une recension critique des écrits. Revue canadienne de psychoéducation, Vol 21, n°2
[6] ROSENBERG, M. (1965) Society and the adolescent self-image. Princeton, NJ, Princeton Université Press
[7] MARTINOT, D. (1995) Le Soi : Les approches psychosociales. Presses Universitaires de Grenoble.
[8] ELLIS, A. (2005) The Myth of Self-esteem: How Rational Emotive Behavior Therapy Can Change Your Life Forever
[9] BORGIA, D. (2012) Petit Dictionnaire du Bonheur – L’Art d’être heureux - Éditions Nouvelle lumière
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