Mais qu'est-ce que je fais là assise dans un Tim Horton devant un jeune homme qui a l'âge d'être mon fils? Je suis euphorique, portée par des émotions si intenses, si survoltées que je me sens ivre sans même n'avoir rien consommé. Je me sens flotter dans une sorte de brume épaisse, comme dans un rêve. Je n'aime pas cette sensation d'irréalité, c'est trop proche des sensations propres à l'angoisse. Je suis déconnectée de la réalité, complètement déconnectée, mais qu'est-ce qui m'arrive? Jusqu'où vais-je descendre? Car c'est exactement ainsi que je me sens, en chute libre ne sachant pas si je vais atterrir avec tous mes morceaux ou mourir en touchant le sol.
Il est là devant moi, petit, très ventripotent, les dents croches, la figure joufflue, vêtu d'un jogging et d'un manteau de chasse. Il a 24 ans et en parait 5 de moins. Il ne me plaît absolument pas, mais il faut qu'il me plaise. Il le faut ! Il faut que je ressente un «buzz». Sinon je meurs. Je panique en dedans. C'est la désillusion totale. Dans mon high, quand je clavardais avec lui ou que je lui parlais au téléphone, j'imaginais que j'étais sur le meilleur coup de ma vie. Que je venais de trouver celui qui me fournirait, à vie (rien de moins) mes doses d’amour qui permettraient de me garder saine d'esprit et de ne pas sombrer dans l'enfer de l'anxiété. En tout cas de contrôler mes crises d'anxiété et de panique. Et ainsi avoir une vie «normale» auprès de l'autre et d'assumer toutes les responsabilités d'une bonne femme comme il méritait d'avoir pour être enfin à sa hauteur et lui donner autant qu'il me donnait depuis 10 ans.
Le jeune homme devenait ma sécurité contre mon puissant mal de vivre et mon anxiété grandissants. Mon anesthésiant, ma médication. Il n'y avait pas d'autres solutions dans mon esprit. Ainsi, je ne clavarderais plus. Il n'y aurait que lui. Je le verrais une fois de temps en temps tout juste ce qu'il me faudrait pour calmer mon anxiété et ainsi je pourrais vaquer à mes occupations quotidiennes sans être continuellement écrasée par une tension émotionnelle et un mal de vivre puissants car pour moi, me séparer de l'autre, n'a jamais été une possibilité. De toute façon comment aurais-je pu ? Je n'avais rien et je n'étais rien. Je m'étais complètement fondue en lui, soumise à ce qu'il voulait que je sois. J'avais perdue en chemin tous mes acquis, mon potentiel, mon autonomie, mes qualités… J'étais éteinte. J'étais devenue une larve qui n'allait même plus faire son épicerie toute seule. Alors comment envisagée ne serait-ce qu'un instant la possibilité de quitter l'autre? Et pourquoi l'aurais-je quitté? Il était mon sauveur. Le seul homme qui m'avait vraiment aimé. Qui endurait tout par amour pour moi. Qui était là depuis 10 ans complètement dévoué à moi. Il m'aimait éperdument et ne me quitterait jamais.
Y croire me donnait la force de m'en sortir. J'allais m'en sortir. Car j'étais consciente que j'avais un problème en fait je croyait que le problème c'était moi, uniquement moi et j'aimais l'autre. Mon amour pour lui était bien là, enfouit sous des tonnes de bouette toxique. J'allais un jour être digne de cet immense amour qu'il me donnait. J'avais pourtant essayé de l'être dans les premières années de notre vie de couple en me conformant à tous ce qu'il voulait que je sois. Je m'habillais comme il le souhaitait, je n'avais pas pris d'appartement comme je le souhaitais au début, j'avais emménagée avec lui car il souhaitait que les choses se passent ainsi, il était si gentil. Si prévenant. J'avais renoncé à retourner sur le marché du travail car il me le suggérait fortement. Je ne conduisais plus ma voiture et je passais de longue période sans aucune voiture à ma disposition, mais j'avais mon chauffeur privé, alors je n'avais besoin de rien d'autre. Je n'avais pas d'argent à gérer il s'occupait de tout et il m'accompagnait même partout et si un soir je déclinais une invitation qu'il me faisait, sa petite moue de tristesse sur sa lèvre inférieure me faisait changer d'idée.
Je me laissais complètement prendre en charge. Plus aucunes responsabilités à assumer. J'étais comme une enfant handicapée. Mais était-ce ça l'amour ? l Était-ce ça l'amour vrai? Mais j'avais enfin une vie facile, moi qui avait toujours supporté financièrement mes ex-conjoints, qui voyais à tout. Aucun homme avant lui ne s'était tant dévoué pour moi et aucun ne m'avait jamais dit non plus m’aimer éperdument. De toute évidence je n'avais pas bien saisis ce qu'il attendait de moi, car du moment où je suis devenue totalement dépendante de lui, ça l'agaçait au plus haut point et mon manque d'autonomie l'exaspérait de plus en plus. Ma seule présence lui portait sur les nerfs, mais je le comprenais, j'étais devenue l'ombre de moi-même. Je me culpabilisais tous les jours d'être une larve. Alors qui d’autre aurait bien voulu de moi?
Devenant un poids pour lui, il me suggérait alors de faire des sorties seule, de me faire des amis, de prendre des initiatives. Mais j'en avais des amis au début, mais je ne pouvais les voir sans sa présence et j’en prenais des initiatives, je faisais tout cela au début de notre relation…
Faire mon chauffeur était devenu une tâche dont il se serait bien passé, mais j'avais perdu toute ma confiance comme conductrice moi qui allait seule partout avant, partout même en Gaspésie en plein hiver. Mais il fallait que je m'adapte à ses nouvelles règles, que je cesse de m'accrocher à lui, que je retrouve mon autonomie. Comment allais-je faire? La simple idée de sortir seule en voiture me faisait faire une crise d'anxiété.
Je ne contrôlais plus rien dans ma vie. Rien, sauf Internet et les rencontres que j'y faisais. J'étais une codépendante qui avais trouvé sa moitié grâce au jeune homme, qui habitait près de chez moi. J’avais mon pusher d’amour à porter de main. Ainsi, j’allais devenir moins larve et calmer par la même occasion mon anxiété. Donc il fallait qu'il me plaise pour que je ressente ce «buzz» essentiel à ma survie.
Mais lors de cette première rencontre, j'avais d'ailleurs menti à l'autre lui disant que j'allais rencontrer une personne pour du travail, tout mon beau scénario tombait à l'eau. Le soir même, le jeune homme m'écrivait un long courriel pour me dire qu'il n'avait pas été à la hauteur parce qu’il avait été gelé par ma beauté et mon charme. Il m’avoua avoir été impressionné comme jamais aucune femme avant ne l’avait fait. BINGO!! Le «buzz» revenait. Il ne me plaisait pas, mais moi je l'avais séduit au-delà de mes rêves les plus fous. Ça allait faire l'affaire.
Par la suite, j'ai eu des contacts sexuels avec lui à deux reprises, dont une relation complète et j'en mettais… Il fallait bien pour qu'il continue à me trouver extraordinaire. Dans les faits, je n'ai pas connu l'extase, mais lui est tombé follement amoureux de moi. Il disait m’aimer alors je lui disais moi aussi, n'importe quoi pour qu'il ne se sauve pas avec ma dose d’amour.
Tout cela me donnait de l’énergie et l'autre ne m'avait jamais trouvée aussi resplendissante et attirante. Il portait à nouveau intérêt à ma personne comme il ne l'avait fait depuis longtemps. J’avais l’impression que plus je lui échappais, plus je devenais importante à ses yeux. Il semble que ma fausse assurance et indépendance l'attiraient à moi comme à un aimant. Pourtant, il a tout fait pour me posséder et faire de moi une femme totalement dépendante, à sa merci. Je ne comprenais plus rien, mais mon «plan» fonctionnait. J'avais mes doses d’amour et je redevenais intéressante aux yeux de l'autre.
Je suis certaine qu’il souffrait, en tout cas, moi je souffrais de le traiter ainsi et je me dégoutais de moi-même de plus en plus en agissant ainsi. Le bas fond n'était pas loin. Je le sentais arriver à toute vitesse. Au Secours !
ISA